Marie-Bernadette Dufourcet
Marie-Bernadette Dufourcet

L’orgue et son caractère dans la liturgie en France et en Espagne au temps de la Contre-Réforme

Mélanges offerts au Professeur Jean-Pierre Poussou, PUPS, 2010, p. 1525-1540.

 

 

           Depuis le Moyen Age jusqu’à la période qui suivra le Concile de Trente, l’Eglise s’est penchée à plusieurs reprises sur la question de la musique sacrée et de sa place dans la liturgie, affirmant constamment la primauté du répertoire vocal, et au sein de celui-ci, la primauté du plain-chant sur la polyphonie. Inversement, le rôle des instruments n’a jamais cessé d’être un sujet de controverse et de méfiance de la part des autorités religieuses, confrontées à une grande diversité d’usages selon les diocèses et les pays. Seul instrument à bénéficier d’une place privilégiée au sein de l’Eglise, l’orgue occupe le rang le plus élevé dans la hiérarchie des instruments, juste après la voix, par sa fonction traditionnelle et quasi exclusive au service de la louange divine. Vers 1636, Mersenne constate que l’Eglise « use particulièrement de l’orgue pour ravir le cœur des fidèles & le transporter au chœur des Anges ».

            Quels arguments était-il avancé à l’époque pour justifier cet usage qui n’allait pas forcément de soi, puisque l’instrument à tuyaux sera un des principaux objets cultuels immolés à la fureur des Protestants, lors des guerres de religion ? Déjà dans les années 1526, Erasme qui était partisan de la plus grande sobriété musicale à l’église, se montrait très critique à l’encontre de toute intervention instrumentale dans la liturgie, y compris celle de l’orgue.

            Face aux détracteurs confortés dans leur position par le processus évident de théâtralisation déjà amorcé à l’époque d’Erasme et qui atteindra son acmé au XVIIe siècle, l’Eglise en France et en Espagne choisit le parti de la réaction contre l’austérité et inclut résolument l’orgue dans la liturgie, comme élément actif visuel et sonore de la rhétorique sacrée catholique, tout en lui attribuant des limites strictes d’intervention. Le principal problème pour les responsables religieux sera alors de définir des critères liant esthétique, correction morale et adéquation aux différents moments liturgiques ; définir le caractère d’une œuvre musicale s’avère une tâche difficile, par nature subjective et sujette à caution. Nous examinerons quels critères seront retenus et comment ils seront formulés dans quelques textes de référence comme les décrets tridentins, le Ceremoniale Episcoporum de Clément VIII (Venise, 1600), le Caeremoniale parisiense de l’abbé Sonnet (Paris, 1662) les règlements en vigueur au monastère de l’Escurial (fin XVIe) ou à la Seo de Saragosse (Statuts du chapitre, 1607), sans oublier les sources théoriques. 

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© Marie-Bernadette Dufourcet